"Voir la musique s’acoquiner avec l’industrie me fait le même effet que de voir une gamine passer la soirée sur les genoux d’un vieux macro libidineux."
Entretien avec le songwriter-poète sans concession, chantre du DIY et de l'indépendance, dans le cadre de la tournée de son dernier album "XI Lieux" (sorti en octobre 2016 sur son propre label A Brûle Pourpoint). En concert le 7 mars au Café de la Danse avec Sages Comme Des Sauvages.
Dans ton dernier album, tu reviens à la formule guitare-voix de tes débuts. Pourquoi ce choix : besoin d’authenticité, raisons financières etc.?
Il n’est pas certain que l’authenticité aille de paire avec la taille de la formation : il y a des fanfares très authentiques et des solos qui suintent la contrefaçon. L’impulsion a d’abord été donnée par la scène ; ça faisait pas mal de temps que je tournais en trio, voire en quartet, à quatre ou cinq sur la route. J’avais envie de revenir à une formule plus souple, moins encombrante et plus solitaire. La production de l’album a suivi cette volonté, de fait.
On pourrait y voir une mise à nu...
C’est d’avantage un rapport au dénuement qu’à la nudité. Arriver à faire avec, avec moins, sans pour autant faire sans.
Ton écriture a, elle aussi, évolué : tu sembles privilégier l'épure, et plus que jamais, dire plutôt que discourir.
Il est difficile de répondre, du moins entièrement à cette question. Je dirais même que le fait de ne pas pouvoir y répondre est justement ce qui permet de pouvoir continuer à écrire. Discourir, c’est utiliser les mots pour arriver à faire passer une idée, une opinion, un avis… C’est se placer au-dessus des mots. Alors que dire, c’est se laisser utiliser par les mots, c’est garder un rapport d’humilité envers eux, ne plus les instrumentaliser. C’est la même chose pour la musique. Quel que soit l’art que l’on pratique, il arrive un moment où il faut cesser de vouloir l’utiliser et se laisser utiliser par lui. C’est le jeu. Comme quand on joue aux cow-boys et aux indiens : il faut savoir inverser les rôles.
Onze albums en douze ans, tu es un artiste pour le moins prolifique. Pourquoi cette riche production, ne crains-tu pas de t’essouffler ?
Tant que la source ne se tarit pas, j’y bois. Si je devais finir par m’essouffler, soit je reprendrais mon souffle, soit je passerais à autre chose. Et puis je crois d’avantage au travail qu’à l’inspiration. Un artiste qui n’a plus d’inspiration est un artiste qui n’a plus le désir de travailler son art. Cela peut arriver, mais ça n’a, à mon sens, pas grand chose à voir avec une mystérieuse force supérieure qui aurait soudain disparu. Le synonyme de la panne d’inspiration, c’est la flemme.
Certains te surnomment le "Jay Z du 93" pour ta propension à produire des jeunes artistes sur ton label A Brûle Pourpoint. Pourquoi as-tu choisi le chemin de l'indépendance ? Des mauvaises expériences avec les maisons de disques ?
Le premier point qui m’a fait réfléchir à deux fois avant de signer avec un autre producteur que moi, c’est d’avoir discuté avec des artistes qui avaient eu de mauvaises expériences avec leur maison de disques. Cela peut devenir très vite, très compliqué et très tendu. Si, à l’époque, le courant était passé avec un directeur artistique, si je m’étais senti rassuré ou qu’on m’avait expliqué qu’en signant, je n’aurais à m’occuper de rien d’autre que de faire de la musique, j’aurais sans doute accepté. Mais tous ceux à qui j’ai eu affaire m’ont surtout parlé de gains financiers ou d’un gain de temps. La rencontre entre les maisons de disques et moi ne s’est pas faite peut-être juste à cause de ça, parce que je n’avais ni envie d’aller trop "fort", ni trop vite. Je préfère la marche à pied à la course automobile. J’ai bien conscience que la notoriété d’un indépendant ne pourra jamais égaler celle d’un artiste épaulé par une trésorerie plus conséquente ; je sais aussi que cela m’a pris dix ans pour arriver là où, peut-être, une grosse maison de disques aurait mis un mois à m’amener, mais ça me va. Inversement, un groupe comme Sages comme des sauvages, produit par A Brûle Pourpoint, est un bel exemple de production entièrement indépendante - sans le support d’un licencié ou d’un éditeur important planqué derrière l’estampillage "indé" - et qui pourtant a acquis, en un album, un stade de développement plus qu’honorable. C’est toujours rassurant de constater que des projets peuvent voir le jour et se pérenniser en dehors des gros circuits de production et de diffusion.
Tu sembles défendre le côté artisan de la musique, un défenseur du bouche-à-oreille plutôt que du star system. Comme si tu étouffais dans l'industrie musicale. Si tu réalisais le biopic de Batlik, comment le présenterais-tu ? Avec quels titres pour la bande-son ?
Ce que je reproche à l’industrie musicale, c’est d’être une industrie : ses moyens démesurés, ses réplications à l’infini, son exploitation irraisonnée des ressources humaines et matérielles etc. Voir la musique s’acoquiner avec l’industrie me fait le même effet que de voir une gamine passer la soirée sur les genoux d’un vieux macro libidineux. C’est le côté macabre plus que le côté immoral qui me pose un souci. Pour ce qui est du biopic, je choisirais "Orenmens" de De Kift pour les dix premières années, "Outta Me, Onto You" d’Ani Difranco pour les dix suivantes, "Sun is shining" de Bob Marley pour la vingtaine, La symphonie n°7 en La majeur 2ème mouvement de Beethoven pour la trentaine, et pour la décennie qui vient, je me souhaite dix ans de "And I Love her" de Brad Mehldau.
Après douze ans de carrière, quel regard portes-tu sur ton parcours : changerais-tu certaines choses ? E ta principale fierté ?
J’aurais voulu commencer dix ans plus tôt et débuter directement par l’album "Le poids du superflu", sans m’encombrer avec les précédents. Pour ce qui est de la fierté, je ne suis pas mécontent de continuer à faire ce métier avec toujours autant d’application, les autres choses m’ennuient assez vite.
Ses 11 Lieux... musicaux
Le choix du Café de Danse le 7 mars ?
On s’est dit que c’était une bonne idée pour le label de faire une date avec ses deux seuls artistes. Il y a trois ans, quelques temps avant la sortie de leur premier album, Sages Comme Des Sauvages faisaient notre première partie dans cette salle. Le 7 mars prochain, j’ouvrirai pour eux. Cela aurait été dommage de faire cette "soirée miroir" dans une autre salle. Et puis, cela faisait plaisir à notre tourneur Zamora. Les dates parisiennes sont aux tourneurs ce que les bulles sont au Champagne : ça fait chic et ça les fait mousser.
Ta salle préférée pour assister à un concert ?
Debout à la Cigale ou assis aux Bouffes du Nord.
Celle où tu préfères jouer ?
Le Studio de l’Ermitage pour la qualité de l’accueil de son staff et parce que c’est une des rares salles parisiennes qui ne pense pas qu’au montant du chèque de location.
Le café-concert inconnu ?
Les marcheurs de Planète, rue de la roquette. Parce qu’on y écoute des concerts 100% acoustiques, mais aussi pour sa carte des vins et spiritueux. Grâce à cette carte, même si tu n'aimes pas la musique, tu passes quand même une bonne soirée.
La pire salle où tu t’es produit ?
Emmetrop, à Bourges.
La plus insolite ?
Un dépôt de bus de Tonnay-Charente, dans le cadre du festival En Accords.
La salle ou le café-concert de banlieue qui mériterait d’être plus fréquenté ?
La Menuiserie de Pantin, le Grand bouillon à Aubervilliers, le Studio Théâtre de Stains... Ils sont nombreux.
Ton repaire chez toi, à Aubervilliers ?
Le lieu le plus proche de chez moi où je passe le plus de temps, c’est le Parc de la Courneuve. J’y suis presque tous les jours depuis des années, quelle que soit la saison, quel que soit le temps qu’il fait.
Ton fief pour écrire, trouver l’inspiration ?
Dans un genre de refuge, en bois, dans les Monts d’Ardèche , j’y suis accueilli par une association chaque année depuis quatre ou cinq ans. Sans oublier la table de mon salon en Seine-Saint-Denis, en bois elle aussi. La table, pas la Seine-Saint-Denis.
Les endroits que tu fuis de peur de t’y perdre ?
Les labyrinthes et les forêts, la nuit.
La salle idéale ?
Une salle pas trop loin, histoire de ne pas faire trop de route.
Une salle où on connaît le staff, sans qu’il change aussi vite qu’un conseiller bancaire.
Une salle où le matériel et le merchandising sont déjà prêts, sans avoir besoin de faire de balances et sans devoir accrocher des débardeurs à des cintres.
Une salle où les loges sont chauffées en hiver, avec douche, wc et eau chaude.
Dans l’idéal, ma salle, la mienne, celle de quand je serai vieux, ringard et dépassé, comme De Niro alias Jake LaMotta dans "Raging Bull". En moins bouffi, j’espère.