Elle a choisi la figure de l’auguste pour intituler son deuxième album, Auguste (Label 440/PIAS, disponible cet automne). Pourtant, si elle ne rechigne pas à verser dans la farce, Leïla Huissoud privilégie la malice aux bouffonneries du fameux pitre. Pas de nez rouge, juste une plume impertinente et tendre à la fois pour croquer ses contemporains. Beaucoup la présentent comme l’héritière d’Edith Piaf. La môme Leïla a en effet biberonné les couplets des Brassens, Ferré, Moustaki, Anne Sylvestre, Agnès Bihl, Evelyne Gallet et autres chanteurs à texte qui voient la vie en prose, tout en dépoussiérant la tradition de la gouaille. Au siècle dernier, la jeune chanteuse iséroise aurait pu tout autant passer le chapeau aux terrasses des Puces que chantonner au cabaret l’Ecluse, le fief de Barbara. Cet Auguste aux douze visages joue les funambules entre humour caustique et doux désenchantement, "un album où le drôle s’accommode du cruel", résume l'artiste.
Elle ouvre le bal avec une "Farce", une valse à contretemps qui interroge sur la place de l’artiste de scène et déboulonne la statut de la chanteuse, cette icône "qui n’a rien à dire, mais qui le fait bien", tout aussi ridicule que "les charlots de l’engagement, que le poing levé nous terrasse, alors qu’on a rien mis dedans". Leïla l’anti-diva force sa jolie voix juvénile, s’arrachant les cordes vocales, se décollant le timbre, pour salir quelque peu l’image des reines de radios/plateaux. Mise en scène, mise en boîte. La morale de cette histoire ? "Les cigales chantent le déluge, mais n’engueulent jamais l’arrosoir."
Il y a chez cet Auguste, moins facétieux qu’il n’y paraît, un vendeur de paratonnerre (cocufié par Georges Brassens !), une "chianteuse" ("Une grogneuse amplifiée, la ronchon de la chanson, la mal peignée du diapason, la pleureuse du sonnet"), un enfant communiste (en duo avec Mathias Malzieu), des amours déçus, des états d’âme et des élans. Sans oublier une émouvante "Lettre à la Suisse", un pays carte postale, où elle a finalement laissé une valise après s’être méfiée de ses vallées trop vertes : "Tu ressemblais à une pharmacie, pas bien loin mais si distante / Froide comme une fille trop jolie, qui n’a forcément rien d’une battante…"
Repérée dans The Voice en 2014, la demoiselle, qui rêve en français quand ses camarades ne jurent que par les refrains en yaourt anglais, ne craint pas les mises à nu. Elle esquisse même un début d’autoportrait dans la complainte "Les tours de rond-point" : "Ce n’est pas la chanson, mais le manège mon talent / Je n’ai pas d’ambition, ce n’est qu’un tour de chant (…) Si je ne vise pas les étoiles, c’est que je suis foutue comme un mobile / Une structure où le bancal est au service de l’équilibre."
Leïla avance sur le fil, en formation guitare ou piano-voix, sans filet. Pas de réflexe, de prétexte, électro, elle met la voix, ses mots, au premier plan, soutenue par une section de cordes, quelques cuivres et un xylophone. Quelques souffles chauds pour magnifier son flow. Sans tambour ni trompette, mais avec brio, cet Auguste dépoussière la piste aux étoiles et la chanson française.
En concert au Hasard Ludique le 7 février